Les Disques de A à Z
Enregistré au monastère de Beinwil en juin 2015 par Laure Casenave-Péré. Une prise de son relativement proche pour une grande intimité avec le jeu du musicien. Le luth, tout en relief, semble évoluer sous nos oreilles avec tant de présence qu’on pourrait presque le toucher.
Un disque “pour l’île déserte”, selon la formule consacrée? Mieux: un disque qui vous donne envie de s’y évader pour oublier les bruits de ce monde et goûter le foisonnement intime qui s’élève d’un luth. A l’apogée de sa maturité, Hopkinson Smith nous livre, plutôt qu’une nouvelle monographie, un bouquet élisabéthain (1558-1603). Une progression savamment tracée rassemble autour de Byrd et Dowland des noms moins célèbre, John Johnson, Anthony Holborne, ainsi qu’une magnifique et très contrapuntique Fantasie du “très illustre Gregorio Huwet d’Anvers” (le titre est de Dowland, qui la remania). “Semper Dowland, semper dolens”,disait-on…
La nonchalance attristée ou tendre qui émane de ces pages intrigue l’interprète dans son introduction: “Peut-on se délecter de la mélancolie? La réponse est dans la musique.” La technique du luth intègre à cette époque un raffinement croissant de l’ornementation: les diminutions et appoggiatures, dont Hopkinson Smith décline toutes les subtilités, rehaussent partout la délicatesse des enchaînements harmoniques (Mr Dowland’s midnight). Elles peuvent aussi appuyer un discours où, chez Johnson et Holborne, la mélancolie s’assombrit en inquiétude et douleur (A Pavan to delight ou Day’end Pavan du premier; Passion, Last will and testament du second). Côté danses, vous ne connaissiez pas ce Mad Dog? Nous non plus. L’intitulé est d’Hopkinson Smith, qui s’est plu à ainsi caractériser quelques pièces présentées sans titre dans les manuscrits. Ses doigt tendent, sur les cordes, des premiers plans, des toiles de fond aux accents étouffés, des échos, avec une réactivité de chaque instant. Le retour d’une idée devient métamorphose: un magicien du temps est à l’œuvre, parfaitement conscient de ce qu’il veut obtenir quand il ouvre les micros.
Soyons-lui reconnaissants de nous faire entrer dans un univers qu’il habite en souverain. Il en a expérimenté la troublante complexité tout au long d’une vie dédiée à un instrument de haut exigence.
by Emile Huvé (Diapason D'Or)