LA MAGIE DE L’INSTANTANÉ
Hopkinson Smith fait chanter son luth pour offrir une seconde vie au répertoire de la Renaissance anglaise placé sous le signe de la fantaisie.
Pas si “chien fou que ça”, notre Hopkinson Smith, qui à la vue de certaines pièces orphelines de la période élisabéthaine, décida de les baptiser (tel ce Mad Dog courant après sa queue d’Anthony Holborne) et de les intégrer à un recueil imaginaire, leur offrant ainsi une seconde vie. Chaleureuse et aérée, avec d’infimes gradations dynamiques, la captation restitue le jeu enchanteur de l’ancien complice de Jordi Savall au sein D’Hespèrion XX. On déguste une heure durant, placée sous le signe de la fantaisie, une magie de l’instantané qui parvient à faire oublier l’analyse pénétrante présidant à la conduite du discours.
Certaines pièces dansées, pavanes et gaillardes, papillonnent au gré d’une accentuation sans cesse renouvelée (gare aux fourmis dans les jambes), quand d’autres déploient un cantabile à rendre jaloux les archets les plus langoureux: Mr. Dowland’s Midnight dilate le temps comme la lune de minuit étire les ombres, Fare Thee Well imite le chant funèbre d’un consort de violes. Chœur émotionnel du disque, la Fantaisie de Gregorio Huwet/John Dowland est œuvre d’illusionniste: sonorités de cithare, harmonie périlleuse pour l’intonation, chant accompagné d’une guirlande de croches…
Ce que l’on entend n’est pourtant pas l’opulent théorbe allemand et sa douzaine de doubles cordes de l’album Bach, mais un “modeste” luth à huit chœurs, fabriqué en 1974 par le célèbre facteur américain Joel van Lennep, accordé un degré plus bas. Le miracle tient au fait qu’Hopkinson Smith ne gratte pas les cordes de son bel instrument: il chante des phrases mélodiques avec ses doigts. En résulte une beauté dont le “grand secret de mélancolie” nous fait remonter jusqu’à la lyre d’Orphée, mythe fondateur de toute musique.
by J.B. (CLASSICA, juliet-aôut 2017)