Compte rendu, récital. Paris, Théâtre des Abbesses, le 22 novembre 2014
Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Suites pour violoncelle BWV 1007, 1008 1009. Hopkinson Smith, théorbe allemand.
Nous étions nombreux en ce doux après-midi de novembre à nous presser à la rencontre, d’Hopkinson Smith dans le si joli petit Théâtre des Abbesses sur la Butte Montmartre. Son acoustique idéale pour des concerts de musique de chambre, a permis au « divin » Hopkinson de disposer d’un écrin enchanteur pour nous offrir de merveilleux instants de musique, hors du temps. Sa lecture des Suites pour violoncelle de Bach d’une sensible mélancolie nous transporte dans un monde où la musique fait surgir de l’ombre, la flamme vibrante et les reflets chatoyants de la musique du Cantor.
Les six Suites pour violoncelle de Bach figurent parmi ses œuvres majeures. Elles n’ont jamais cessé de fasciner les musiciens les plus talentueux. Passant du violoncelle au piano, de la flûte à la viole de gambe, les transcriptions en sont nombreuses. Bach lui-même dédia au luth la Suite n° 5. Après les avoir enregistrées pour Naïve, c’est une « version », et non une « transcription », pour un théorbe allemand que nous donne Hopkinson Smith. Cet instrument qu’il doit à un facteur américain est inspiré d’un modèle inventé par un contemporain de Bach fort connu en son temps, le luthiste, Sylvius Leopold Weiss. Avec son sourire si malicieux, Hopkinson Smith a d’ailleurs pris la parole en milieu de concert pour décrire cet instrument avec clarté et tendresse.
Ce théorbe allemand lui permet de nous donner sa lecture, si personnelle des trois premières Suites. Et passé un premier instant de surprise, où nous cherchons tous à entendre ces œuvres que nous croyons si bien connaître, c’est un univers profondément contemplatif qui s’ouvre devant nous. Et si ce n’était les sonneries intempestives des téléphones portables, l’univers contemporain s’évanouirait dans l’envoûtant murmure du théorbe qui sous les doigts si raffinés du poète qu’est Hopkinson Smith, nous dit l’indicible.
Dès les premières mesures du Prélude de la Suite BWV 1007, le discours est autre. Comme une onde qui s’écoule, il semble dessiner les contours d’un paysage, se faire tableau plus que phrase, échapper à la peur, à une réalité en quête de virtuosité et libérer l’âme de la souffrance. Puis progressivement, nous percevons, les mots que les doigts font chuchoter. Dans les BWV 1008 et BWV 1009, dans les Courantes et Sarabandes, les cordes chantent en une polyphonie enivrante, un instant au goût d’éternité. Si les tempi plus lents qu’impose le théorbe, obligent Hopkinson Smith à user comme le souligne Philippe Venturini dans le programme de présentation « de toutes les possibilités de son instrument pour faire entendre des figures de basses qui n’étaient que suggérées dans la partition de Bach », le public le suit, l’écoute avec fascination et plaisir, y compris les quelques enfants présents dans la salle. Et ce murmure, ces voix graves et parfois si poignantes, dans les Menuets et Gigues invitent à laisser danser avec ivresse l’esprit qui ne demande qu’à s’élever, allégé à jamais d’un corps oublié.
Hopkinson Smith cisèle les Suites, en exprime les nuances d’une infinie et mystérieuse beauté. Il nous donne à entendre la musicalité incandescente du silence. Et c’est avec la Sarabande de la 5ème Suite en bis qu’il nous suggère en fin de concert, avec une sensuelle et onirique délicatesse, ce dernier trait d’un paysage universel et pourtant d’une diversité si foisonnante.
by Monique Parmentier (classiliquenews.com)